Libérez-vous !
- Détails
- Créé le lundi 11 juin 2012 16:34
- Écrit par Vincent Toumazou
Après avoir appris à courir équilibré, tâchons maintenant de nous libérer de cadres conscients ou inconscients susceptibles d’entraver la sensation de bien-être et le plaisir que notre pratique de l’ultra devrait nous apporter.
Pour nombre d’entre nous, la pratique sportive en général et de l’ultra en particulier est un moyen d’épanouissement. Mais c’est aussi une manière de se confronter à l’image que l’on a de soi (celui que l’on pense être et celui que l’on voudrait être), de déterminer l’image de soi dans le regard de l’autre (celui que l’on paraît être), et de se comparer aux standards sportifs communs (tables de records, plans d’entraînement).
L’IMAGE DE SOI
L’image que l’on a de soi est souvent la plus difficile à dessiner avec justesse. On manque d’objectivité, on est trop exigeant ou trop indulgent. À dire vrai, cette difficulté vient de la mauvaise calibration des objectifs. Sait-on vraiment ce que l’on recherche dans cette pratique ? Est-ce important ? Si oui, est ce plus important que telle ou telle autre chose ? Dans tous les cas, ne surévaluez pas vos objectifs, vos attentes. Soyez conscient que vous ne risquez pas votre vie, tout au plus risquez-vous d’écorner l’image que vous avez de vous. Ce que vous pourriez percevoir comme un échec ne fait pas de vous un sous-Homme. Cela fait juste de vous une personne humaine, peut être trop fatiguée ou un brin présomptueuse. Il y a fort à parier que la prochaine fois, vous saurez vous auto-évaluer plus justement et que votre performance – voyez ce terme comme l’accomplissement d’une performance artistique, non comme un record - vous comblera.
Toutefois, je ne dis pas qu’il ne faille pas rechercher la performance. En effet, performance, bien-être et plaisir ne sont pas incompatibles. Le plaisir peut naître de la performance. Mais il faut être lucide sur le niveau de performance que l'on peut atteindre, et c’est bien difficile.
LE REGARD DE L’AUTRE
Le regard, les remarques des autres viennent aussi parfois tordre notre esprit. Si j’échoue, si je ralentis, si je marche, si je mets dix heures et une seconde et non neuf heures cinquante-neuf minutes et cinquante-neuf secondes, que vont dire les autres ? Quels autres ? Vos voisins, vos collègues ? Combien seront-ils à le savoir ? Cinq, dix, vingt ? Belle affaire ! Des milliards de gens sur Terre n’en sauront rien, s’en ficheront sûrement. Et vos enfants, vos parents, celles et ceux que vous aimez ? Peut être pourront-ils ressentir de la fierté pour vous l’espace de quelques instants. Mais au final, votre pratique sportive n’a sûrement d’intérêt pour eux que dans l’Homme qu’elle peut révéler, un Humain fait de forces, de doutes, de faiblesses.
Un jour que l’on me posait l’éternelle question "Pourquoi cours-tu ?", je me suis rendu compte de tout ce que je mettais dans mes foulées. Je traverse les paysages de la vie sans y penser, me fondant dans l’air, la lumière et tout ce qui m’entoure. J’avance sans effort, sans devoir penser au geste, ralentissant, accélérant, modulant mon allure au gré des parcours. Je n’ai plus la conscience de courir. J’ai la même impression que l’enfant qui pédale, jouant de cet équilibre, facile, léger… Je me fonds dans les bois, les prés, entre les arbres, sur les plages. Je glisse dans l’air. Je ne suis plus que des jambes qui trottent, qui galopent, des bras qui aident, des poumons qui brassent, un cœur qui pompe. Je ne suis qu’un coureur contemplatif d’un tout, jubilant de cette liberté. Je cours dans l’instant, n’imaginant que le présent sans rien anticiper ni calculer.
Chaque jour, je connais un peu plus la valeur de cette impression si intense. J’en ignore pourtant le prix. Rien ni personne ne peut l’acheter ni même l’offrir. Rien dans les poches, léger comme l’air, je file facile, tranquille. Rien dans les poches, je suis l’homme le plus riche du monde. Pour quelques instants, quelques secondes, je suis riche de cela, ce tout que rien jamais n’achètera. Tous ces plaisirs… N’avez-vous jamais regardé votre corps fumer dans l’air frais de l’hiver ? Senti votre peau couler sous le soleil de l’été ? Non ? Alors détachez-vous de tout ce que vous croyez savoir de théories, de formalismes. Épousez le relief, gravissez les bosses, dévalez les pentes. Jouez à courir. Vivez votre foulée, vivez ! Ressentez cette impression presque palpable d'être totalement heureux et tellement vivant. Cette sensation presque charnelle d'embrasser la vie, de lui hurler que vous l'aimez parce que vous avez couru comme si chaque foulée était la dernière. Qui sait de quoi demain est fait ?
LES COMPARAISONS
À ce stade, peut-être vous serez-vous déjà détaché des tableaux de records, des plans d’entraînement. Bien sûr, quelques bases théoriques sont bénéfiques, nécessaires pour vous guider dans vos premiers pas. Mais si la totale optimisation de votre potentiel n’est pas votre moteur, fiez-vous à vous-même, à vos sensations. Apprenez à vous connaître. La bonne connaissance de vous-même ne vous suffira-t-elle pas ? Essayez donc ! Posez montre, cardio, GPS. Courez libre.
J'en suis aujourd'hui persuadé, on peut faire de bonnes séances en forçant mais sans se forcer et encore moins se faire violence. Il est illusoire, dangereux voire stupide de penser que « plus ça fait mal, plus ça fait du bien ». Ça remonte à plus de trente ans mais j'ai encore en mémoire ces phrases entendues de la bouche d'entraîneurs qui s'adressaient à des débutants, voire pire, à des jeunes. Combien de leur « poulains » courent encore avec plaisir ? Il est tout à fait possible de faire de très bonnes séances avec un peu d'expérience et de connaissance de soi, qui ne rentrent pas dans les standards théoriques, mais restent très profitables. Et la progression est tangible. Alors oui, pour optimiser à 100% son potentiel, il peut s'avérer nécessaire de s'appuyer sur un vrai entraîneur, mais le jeu en vaut-il la chandelle ?
Vous êtes unique et en cela incomparable. Champion, record sont des notions bien relatives. Et comme une sous-performance ne fait pas de vous un sous-Homme, la grande performance ne fait pas d’un champion un super-Homme. Alors ne cherchez pas la comparaison…
Finalement oui, libérez-vous ! Faites-vous à l’idée que définitivement et heureusement, vous êtes faillible, destructible, perfectible, vulnérable, en un mot Humain. Oui, vous êtes Humain, doté d’émotions, doué pour le plaisir. Jouissez de ces moments d’Ultra sans leur donner plus d’importance qu’ils ne doivent en avoir. Ils font partie de vous, de l’Humain que vous êtes, mais ne le résument pas. Vous n’êtes pas qu’un coureur d’ultra, une machine à performances, à toujours plus vite, plus loin, plus longtemps. Libérez-vous, posez montre, GPS, cardiofréquencemètre. Retrouvez vos émotions d’enfants, le plaisir du geste simple.