Osez le style libre
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- Créé le jeudi 14 juin 2018 22:30
- Écrit par Vincent Toumazou
Parce que courir est une chose simple qui doit rester source de plaisir et de bien être, il peut être intéressant de revenir à "l'origine".
Courir à l'instinct, courir un chemin, un paysage, un instant, une heure, une journée, courir longtemps, courir simplement, librement.
Le style libre, c'est tout cela. Alors pour que ça le reste, un petit guide du coureur sur le sujet.
Osez ce style libre !...
Un vieux concept d'actualité.
Nous sommes au milieu des années 70 et tous les deux mois mon père reçoit un petit journal de course à pied, une petite bible en noir et blanc avec un titre orange qui barre le haut de la couverture "SPIRIDON" ; un concentré de passion sur quelques dizaines de pages qui prêche une pratique sans contrainte de la course à style libre. Le premier livre de Serge Cottereau, "la course de fond à style libre", figure également en bonne place dans la bibliothèque. Le petit garçon que je suis fait ses débuts en course et s'amuse de cette expression "style libre". Je n'en comprends pas tout le sens ni même toute la portée car pour moi la course, c'est le jeu de la course. A cette époque, ce sport est extrêmement encadré par la fédération et seuls quelques courageux, les pères de cette pratique en liberté que l'on aime aujourd'hui, osent transgresser les règles, inventant une nouvelle approche de la course et des compétitions : les courses longues à style libre.
Plus de trente ans plus tard, je cours toujours avec la même passion. Une passion entretenue et depuis bonifiée par cette pratique du style libre que j'ai fait mienne. C'est de cela que je vais vous parler ; pas de la course des années 70 mais bien de ce style libre, pratique hors compétition, hors règles, hors contraintes, sans stress, instants de course humaniste et contemplative.
De la randonnée courue.
Ces sorties à style libre sont des sorties 100% plaisir, plutôt longues (de 1h30 à 5 voire 6 heures maximum pour des coureurs d'expérience), des formes de randonnées courues à une allure confortable dans des lieux qui vous font envie, peu importent ces lieux qui pourront être la campagne, une montagne, une plage, une ville que vous découvrez ou même le bas de chez vous et les quartiers alentour, ... Elles peuvent être faites n'importe quand dans l'année à condition que vous en ayez l'envie.
Elles devront toutefois pouvoir s'intégrer dans votre programme de course car bien que courue à une allure confortable, une telle sortie de par sa longueur ou le relief peut s'avérer fatigante. Cette pratique du style libre est particulièrement gratifiante et peut donc permettre de se réconcilier avec la course après une période de doute ou de difficulté en échappant au stress de la vie quotidienne et d'une pratique sportive codifiée à en devenir contraignante. Elle pourra également vous permettre de découvrir de beaux endroits et bénéficier d'un moment de forme. Le mieux est de vous laisser guider par votre corps, votre esprit et vos aspirations du moment. J'ai coutume de dire que « je cours la vie ». Quelle meilleure façon de courir la vie que ces sorties ? Et puis elles pourront éventuellement remplacer avantageusement une sortie longue classique et codifiée. Ainsi, à la place de cette sortie classique formatée, focalisée sur des allures et à l'affût des bonnes sensations, vous trotterez en toute liberté, au gré du terrain, le corps, l'esprit et la nature fusionnant dans la douceur.
Pour autant cette pratique ne saurait constituer un entraînement à proprement parler. Elle échappe en effet à toute programmation, à tout formatage et ne demande que de la spontanéité. Elle s'inscrit toutefois dans une approche raisonnée sinon programmée de la course. En effet, comme je l'ai dit plus tôt, ce type de pratique peut s'avérer éprouvante et spontanéité ne veut pas dire improvisation dans ce cas précis. De telles sorties à style libre ne peuvent être totalement réussies et vous offrir tout le plaisir que vous pouvez en attendre que si vous êtes suffisamment préparé tant sur le plan physique que mental et de la diététique. Une sortie longue même avec cette approche peut tourner à la galère si elle n'est pas judicieusement placée dans le temps et prise avec tout le sérieux que les efforts que vos débaucherez exigent. Ces sorties seront donc abordées avec beaucoup d'humilité et elles seront démarrées à une allure lente surtout si les jours précédents vous ont vu généreux dans les efforts. Enfin, il faudra respecter les règles de récupération (hydratation, étirements, délai de repos relatifs avant des séances plus dures) comme après une séance longue classique.
Afin de bien les aborder, considérez-les comme des randonnées courues. Alors oui, certains pourront demander "Pourquoi ne pas randonner en marchant ?". La réponse se décline en trois points :
- Parce que nous aimons courir et qu'il est possible en abordant ces sorties avec raison et passion de faire de vraies grandes et belles balades.
- Parce que justement en courant, la distance ainsi couverte s'avère bien supérieure à une classique randonnée pédestre et ce en un temps de disponibilité nécessaire bien moins important (une randonnée en parcours facile de 35 kilomètres sera marchée dans la journée mais courue en environ 3h30-4h seulement.).
- Parce qu'enfin, l'effort plus intense de la course même à allure modérée exacerbe vos sens et votre perception de l'environnement vous offrant alors une palette d'émotions différentes et/ou complémentaires de celle offertes par la marche.
Un effort esthétique.
D'autres points pourront rendre une randonnée courue différente d'une randonnée marchée. Le choix du parcours sera fait en pensant « course ». Des parties sur route en marche qui rebutent offriront par exemple un moment de répit entre des parties difficiles ou permettront de rejoindre au plus vite un endroit incontournable ou superbe. A contrario, des parties très accidentées ou très difficiles seront à éviter, la philosophie de ces sorties étant l'aisance avant tout. Le parcours devra avant tout offrir du calme ou au moins éviter au maximum le stress d'une circulation routière dense ou d'une présence importante de VTTistes pressés par exemple.
Vous privilégierez des sols souples (même si de telles sorties sont possibles sur route -en ville notamment- si toutefois, et c'est très important, vous n'en profitez pas pour vous focaliser sur les distances indiquées) offrant des profils variés mais toutefois abordables. Vous ferez en sorte d'évaluer la distance globale de votre sortie. Enfin, vous serez vigilant dans le choix du moment où vous partirez courir. Vous démarrerez de bonne heure en été alors qu'en hiver vous courrez prioritairement en milieu de journée.
Pour les débutants...
Enfin si vous êtes débutants et que lisant ce texte vous vous sentez exclus de cette façon de courir, sachez que le plaisir d'une sortie de 3 ou 4 heures pour un coureur d'ultra vous sera accessible avec un effort moins long et plus conforme à vos possibilités actuelles. Si 8 kilomètres en 1 heure sont pour vous une performance, une sortie à style libre de 15 kilomètres en 2h30 heures sera tout aussi gratifiante pour vous. Vous aurez qui plus est la merveilleuse satisfaction d'avoir fait un effort jusque-là extraordinaire pour vous. Et vous n'aurez qu'une envie, recommencer !
L'idéal pour le choix du parcours sera de rechercher l'esthétisme dans la globalité de votre sortie : beauté du parcours, qualité du geste, maîtrise de vos allures et de vos efforts. Comme l'alpiniste s'engage dans une belle voie pour une escalade exécutée avec dextérité, engagement et respect face à la paroi, vous viserez une « belle exécution » de la sortie en style libre. Votre freestyle à vous.
Prudence, prudence.
Dans tous les cas, même si l'engagement n'est pas comparable avec l'alpinisme, certaines règles élémentaires ne sauraient être négligées. Essayez de repérer votre parcours à l'avance et le cas échéant, emportez une carte suffisamment détaillée avec vous. Prévenez avant de partir de l'itinéraire que vous allez emprunter et veillez si possible à ne pas en changer en cours de route. Veillez surtout à ce que le parcours choisi soit largement dans vos possibilités du moment car encore une fois, ces sorties doivent rester confortables pour tenir dans le cadre de leurs spécificités.
Choisissez de partir avec de quoi vous ravitailler en quantité. Emportez assez d'eau et de nourriture et veillez à repérer les endroits où vous pourrez compléter (points d'eau, petit commerce ou boulangerie pour acheter de quoi grignoter.). Munissez-vous d'une pièce d'identité surtout si vous êtes à l'étranger, d'un peu de monnaie et si possible d'une téléphone portable pour la sécurité.
Portez des vêtements clairs qui vous rendent visibles de loin et bien adaptés aux conditions atmosphériques que vous êtes susceptibles de rencontrer. N'hésitez pas en emporter un coupe-vent, une casquette, des gants, une lampe de poche ou un vêtement pour l'obscurité selon la période de l'année.
Sur les parties courues sur route, pensez à vous placer face aux véhicules sur le côté gauche de la voie. Enfin un dernier point qui pourra paraître trivial pour les plus aguerris d'entre vous, choisissez vos chaussures avec soin. Pensez que la sortie pourra être longue et soyez sûr de votre choix entre chaussures de route ou de trail.
Ouvrez vous à ce qui vous entoure, c'est parti.
Vous voilà donc prêt ! Faites le vide dans votre tête, oubliez pour quelques heures vos habituelles contraintes d'entraînement et adoptez d'emblée une allure lente à modérée dans tous les cas confortable à tenir durant un long moment. N'oubliez pas que même si vous avez estimé la distance, vous ignorez le temps qui vous faudra pour la couvrir. N'oubliez également pas de vous alimenter en liquide et solide dès le début et très régulièrement et n'hésitez pas à faire des pauses. Des pauses pour marcher et des pauses pour profiter de ce qui s'offre à vos yeux, à vos oreilles, à votre odorat, profiter de ceux que vous croiserez et qui vous rendront votre "bonjour".
On mange quoi ? On boit quoi ?
Profitez de ces sorties sans stress pour tester votre alimentation en courant. Là aussi faites vous plaisir et soyez curieux voire inventif. Par conviction, je dirais de faire la chasse au "synthétique". Durant des années de pratique, j'ai acquis beaucoup de confiance sur le coté alimentaire grace à ces sorties.
Vous trouverez un lien à ce sujet en fin de cet article.
C'est alors le moment de regarder ce vallon à la terre ocre qui se détache dans le ciel bleu azur. C'est le temps pour entendre le clocher d'une église dans les lointains, le temps pour deviner dans les brumes au fond de la vallée des villages qui s'éveillent. C'est le temps pour s'arrêter sentir ces fleurs, tremper vos mains dans un torrent. C'est le temps d'une parenthèse à vous, à la vie, un retour à des sensations enfantines, des souvenirs de vacances. C'est le temps de vous sentir coureur se fondant dans le paysage, vous étonnant au bout de quelques heures de la facilité avec laquelle vous progressez sans efforts, le corps et l'esprit en harmonie, presque reposés. Vous boirez ce nectar de la vie et vous garderez en vous son goût, autant de sensations et d'allures que le moment venu vous saurez retrouver dans des moments de course plus difficiles.
Et pour partir ?
Un excellent moyen pour voyager un peu plus avec ces sorties est de partir en transport en commun. C'est en plus très tendance...
Alors sur Toulouse, je prenais le train près de la maison et partais dans le Gers avant de rentrer en courant. J'appelais ces sorties les "Sorties SNCF". Un bus, un blablacaz feront tout autant l'affaire.
Vous finirez presque à regret votre sortie à style libre.
Alors vous êtes peut-être des "Monsieur Jourdain de la course à pied". Celui-ci s'émerveillait de faire de la prose sans le savoir. Je parie que nombre d'entre vous font du style libre depuis bien longtemps... Avec de telles sorties, vous n'aurez pas consommé un parcours, vous aurez joui de ce qu'il vous offre. Un retour indispensable à la course dans sa forme la plus épurée, la plus dépouillée, mouvement simple et pourtant si riche pour joindre deux points.
(Texte modifié en 2018 sur la base d'un texte écrit dans une première mouture à l'automne 2004,
Publié dans une version raccourcie dans le magazine Running Attitude n°41 de Janvier 2005.)
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